Le A3 japonais pour le management de l'information

Voici quelques notes et citations sur le livre Le traitement de l'information dans l'entreprise : le "secret" de l'efficacité japonaise transposé en Europe (1994).

L'auteur a travaillé avec l'industrie japonaise pendant plus de trente ans et a pu voir comment les Japonais géraient l'information en la considérant comme un outil de production.

Il décrit la technique de production de documents structurés et synthétiques dans le format limité d'une feuille A3 permettant de contenir 90% de l'information utile à tous au sein de l'entreprise.

En plus de tendre vers la simplification, le consensus et la standardisation, c'est une technique permettant la constitution d'une mémoire d'entreprise.

Les choses ont sans doute évolué depuis 1994 -date de publication du livre- mais c'est une pratique que je n'ai jamais constatée dans les entreprises françaises par lesquelles je suis passé.

Je trouve que ça pourrait être une bonne piste !

Introduction

Extrait d'une conversation avec un industriel japonais après quelques verres de saké :

Nos ingénieurs ne sont pas meilleurs que les vôtres. Mais nous vous battons sur le plan industriel car nous sommes mieux organisés : en termes de développement de la production, mais aussi de gestion de l'information. […]

La bonne information doit revenir à la bonne personne, au bon moment, sous la forme la plus synthétique possible. C'est là tout le "secret".

Et c'est un secret que vous aurez du mal à percer, vous les occidentaux, les individualistes. Certes, vous vous êtes adaptés facilement à nos méthodes de production : changement rapide d'outils, Kanban, car il s'agissait de technique. En revanche le management de l'information repose sur une attitude, un comportement culturel. Il faut comprendre et non pas copier.

Essai d'interprétation de l'excellence industrielle japonaise

L'auteur énumère une liste de facteurs géographiques, historiques et culturels spécifiques au Japon qui pourraient expliquer cette excellence industrielle : isolement, pauvreté, foule, système d'écriture, système éducatif, attitude de groupe, communication totale etc.

Il évoque aussi le système d'emploi à vie (à remettre dans le contexte de 1994). Il assurerait la pérennité des relations avec la hiérarchie et favoriserait la franchise. L'assurance qu'un échange de vue -même un peu vif- ne se terminera pas par une séparation encourage le parler vrai, transparent.

Le système éducatif japonais prédispose à la synthèse. Dans les directives remises chaque année aux établissements scolaires revient comme un leitmotiv la nécessité pour les professeurs d'apprendre à leurs élèves :

  • à s'exprimer brièvement en "écrivant court"
  • à extraire le point important d'un texte et à le résumer
  • à bien séparer les éléments factuels des interprétations
  • en fin de secondaire seulement, à décrire des impressions personnelles et à analyser les relations des éléments (homme, nature…) entre eux

En Europe, la pratique du résumé n'est timidement développée qu'à la fin du secondaire et ne prend une forme académique qu'au niveau des grandes écoles.

Document de synthèse japonais

Règles des documents de synthèse :

  • format limité de présentation A3
  • un minimum de texte mais des schémas, des diagrammes… pour illustrer visuellement le propos
  • un vocabulaire permettant aux documents d'être lu de façon autonome
  • un bref rappel historique, pour restituer l'action dans son contexte et faciliter la compréhension de son déroulement
  • un exposé structuré selon un schéma préétabli permettant de reconstituer la logique de la démarche (constitution de mémoire d'entreprise)
  • une prise en compte de divers points de vue (direction, exécution, commercial), leur bouclage (objectif, résultat) et le rappel des engagements mutuels qui en feront un document complet dans la perspective de l'entreprise

On est à des années-lumière des tableaux de bord en plusieurs centaines d'indicateurs, alors qu'une entreprise se pilote réellement avec six ou sept indicateurs. Encore faut-il bien les choisir et c'est là tout l'art de la synthèse.

La présentation des documents de synthèse est soignée. Mais cette qualité du faire-savoir a un prix pour les rédacteurs : ils passent du temps à rechercher la forme ou le schéma qui rendront le texte le plus compréhensible possible.

Pas de fausse pudeur :

  • à détailler les hypothèses de calcul
  • à préciser des points évident pour les spécialistes (mais moins connu des autres)
  • à indiquer si une courbe qui monte est un bon ou un mauvais signe

L'objectif consiste à obtenir un impact maximum du document. Pour cela, ils estiment devoir faciliter la tâche du lecteur ; lui mâcher la besogne en testant la clarté du message.

Documents de synthèse européens

Cette partie s'attache à la transposition des A3 japonais dans les entreprises occidentales.

Les documents de synthèse font appel à l'art du résumé ; ce qui, dans notre culture analytique, n'est pas évident.

Le document est conçu comme une suite d'étapes décrivant une résolution de problèmes, des origines aux conclusions :

  1. thème (raison du choix)
  2. objectifs (chiffrés et datés)
  3. analyse ventilée en :
    • historique (pour replacer le projet dans son contexte)
    • enjeu (regroupant les données économiques)
    • analyse technique avec les éléments classiques (Pareto, Ishikawa…), les solutions étudiées (y compris celles qui n'ont pas été retenues pour la mémoire d'entreprise) et les hypothèses faites pour engager des actions (avec la description des mécanismes les justifiant)
  4. actions classées en actions faites et à faire, caractérisées par leur nature, le pilote, le délai et les commentaires
  5. résultats quantifiés des actions, à comparer aux objectifs
  6. enseignement (d'ordre général, pour gagner du temps si on avait à traiter un problème de même nature)
  7. perspectives (avec engagement budgétaire ou proposition d'investissement complémentaire)

Le document a une structure visuelle en "U" pour rapprocher résultats et objectifs.

La confrontation des résultats aux objectifs est une règle très forte impliquant une grande rigueur. Elle oblige à formuler les objectifs et les résultats en termes identiques. Si l'indicateur approprié n'existe pas, il faut le concevoir et mettre en place le suivi. Aussi surprenant que cela puisse paraître, cet impératif n'est pas toujours pris en compte par les responsables de projet.

Cette confrontation oblige à mettre à plat la qualité des analyses.

Le document couvre le point de vue du management :

  • de quoi allez-vous me parler ? => thème
  • qu'est-ce que l'entreprise gagne ou perd dans cette affaire ? => objectif
  • votre proposition est-elle bien verrouillée ? => enseignement–verrouillage (normes, instructions, procédés… pris après la résolution du problème)
  • et votre vision du long terme ? => perspectives

L'histoire enseigne que de nombreuses faillites sont liées au passage de la ligne critique qui sépare la petite de la moyenne entreprise.

La démarche de passage à un mode de gestion organisé de l'information doit émaner d'une direction motivée. Elle doit mettre en place une politique de valorisation de l'esprit de synthèse.

L'information contribue à la production, elle doit être optimisée au même titre que l'outil de production.

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